Royaume-Uni: face à la déferlante des traitements contre l'obésité, un chef star allège son menu
Quand le chef star britannique Heston Blumenthal, trois étoiles au Michelin, a commencé à suivre un traitement contre l'obésité, il a perdu l'appétit. Convaincu que le succès de ces médicaments va bouleverser la restauration, il propose désormais une version allégée de son menu phare.
Après les Etats-Unis, les traitements anti-obésité GLP-1, connus sous les noms Ozempic, Wegovy, Mounjaro etc., ont pris d'assaut le Royaume-Uni.
S'il n'y a pas de chiffres officiels sur le nombre d'utilisateurs de ces "skinny jabs" ("piqûres pour maigrir"), qui reproduisent l'action d'une hormone aidant à réguler la glycémie et l'appétit, des études évoquent 1,5 million de Britanniques, d'autres plus de 3,5 millions.
Pour Heston Blumenthal, qui compte parmi eux, "ce n'est que le début".
Cet homme de 59 ans, l'un des plus célèbres chefs britanniques, a ouvert son restaurant "The Fat Duck" ("Le gros canard") en 1995, dans le village de Bray, à l'ouest de Londres. Neuf ans plus tard, le Michelin le couronnait de trois étoiles.
Il a d'autres restaurants étoilés, notamment à Londres et Dubaï. Il est aussi une célébrité de la télévision dans son pays et ailleurs - il passe dans l'émission de téléréalité Top Chef en France -, connu pour son approche combinant science et cuisine.
- "Se réinventer" -
Dans les interviews, il ne parle plus seulement de sa cuisine "multisensorielle", mais aussi de santé mentale.
Il y a deux ans, il a été diagnostiqué bipolaire. Ses médicaments lui ont fait prendre 40 kilos et son médecin lui a conseillé un traitement anti-obésité.
"Quand j'ai commencé, je n'avais plus faim du tout. C'était vraiment bizarre", raconte-t-il à l'AFP. "J'étais rassasié, sans avoir beaucoup mangé". Après avoir ressenti une certaine inquiétude, il a noté avec soulagement que le traitement "n'avait pas tué" ses papilles.
Il a perdu 20 kilos mais a aussi réalisé "le danger" pour le secteur de la restauration. "Cela va avoir un énorme impact sur notre façon de manger". En plus d'avoir moins d'appétit, les gens pourraient avoir moins d'intérêt pour la nourriture. Pour un chef, c'est "un gros défi, mais aussi un défi exaltant". Il faut "repenser" certaines choses, "se réinventer".
En Angleterre, où 64,5% des adultes étaient en surpoids ou obèses en 2024, le service de santé public croule sous les demandes de rendez-vous de patients en quête de ces traitements.
Face aux listes d'attente, des centaines de milliers de Britanniques se résignent à aller dans le privé et débourser 175 livres (200 euros) par mois pour le médicament.
Depuis début octobre, Heston Blumenthal propose le menu "The mindful experience", avec des portions deux fois plus petites que dans son menu phare "The journey", mais avec les mêmes textures et saveurs.
Le prix est de 275 livres (75 de moins que "The journey"), soit 314 euros. Le service, le personnel en cuisine restent les mêmes, justifie le chef.
En apéritif, une mousse aérienne, avec lime et thé vert, disparait en quelques secondes dans la bouche. "L'idée est de réveiller le palais", explique Heston Blumenthal.
Un plat intitulé "Au bord de la mer", se déguste avec le bruit des vagues et des mouettes dans les oreilles. Le chef a conçu une glace au crabe, présentée dans des cônes, façon glace à l'italienne.
- "Apprécier davantage" -
Le menu a connu le succès dès les premières semaines. Sur les 80 premiers clients, un seul a dit ne pas avoir suffisamment mangé.
"Quand il y a moins de nourriture, on peut l'apprécier davantage", professe Heston Blumenthal, qui passe volontiers dix minutes à croquer dans un simple grain de raisin, en analysant chacune de ses sensations.
"Etre moins poussé par l'appétit m'a rendu plus conscient de mes papilles. Je me suis surpris à manger moins, mais avec plus de réflexion", dit le chef, qui continue de suivre le traitement.
Il n'est pas le seul à avoir pris conscience du bouleversement en cours.
Le chef d'origine indienne Atul Kochhar a lancé un menu avec des plats plus petits après avoir entendu des clients dire: "C'est un peu trop, nous ne pourrons pas tout manger". "Je mentirais si je disais que je ne suis pas inquiet", a-t-il confié à la télévision Channel 4.
(O.Agard--LPdF)